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Page:Bergson - La Perception du changement.djvu/11

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PREMIÈRE CONFÉRENCE

autres naturels au sens commun. Je crois que nous finirons par nous mettre d’accord là-dessus, et que, partant de là, nous constituerons progressivement une philosophie à laquelle tous collaboreront et sur laquelle tous arriveront à s’entendre. C’est pourquoi je voudrais d’abord fixer deux ou trois points sur lesquels je pense que l’entente est déjà faite : l’accord, comme une tache d’huile, s’étendra peu à peu au reste. Notre première conférence portera donc moins sur le changement lui-même que sur les caractères généraux d’une philosophie qui prendrait l’intuition du changement pour point de départ.

Voici d’abord un point sur lequel tout le monde s’accordera. Si nos sens et notre conscience avaient une portée illimitée, si notre faculté de percevoir, extérieure et intérieure, était indéfinie, nous n’aurions jamais recours à la faculté de concevoir ni à celle de raisonner. Concevoir est un pis aller dans les cas où l’on ne peut pas percevoir, et raisonner ne s’impose que dans la mesure où l’on doit combler les vides de la perception externe ou interne, et en étendre la portée. Je ne nie pas l’utilité des idées abstraites et générales — pas plus que je ne conteste la valeur des billets de banque. Mais de même que le billet n’est qu’une promesse d’or, ainsi une conception ne vaut que par les perceptions éventuelles qu’elle représente. Je dis que nous sommes d’accord là-dessus. Et la preuve, c’est que, de l’avis de tous, les conceptions le plus ingénieusement assemblées et les raisonnements le plus savamment échafaudés s’écroulent comme des châteaux de cartes le jour où un fait — un seul fait réellement aperçu — vient heurter ces conceptions et ces raisonnements. Il n’y a d’ailleurs pas un métaphysicien, pas un théologien, qui ne soit prêt à affirmer qu’un être parfait est celui qui connaît