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Page:Bergson - La Perception du changement.djvu/31

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DEUXIÈME CONFÉRENCE

une autre, également indivisible. Sans doute nous avons une tendance à la diviser et à nous représenter, au lieu de la continuité ininterrompue de la mélodie, une juxtaposition de notes distinctes. Mais pourquoi ? simplement parce que notre perception auditive a pris l’habitude de s’imprégner d’images visuelles. Nous écoutons la mélodie à travers la vision qu’en peut avoir le chef d’orchestre qui regarde sa partition. Nous nous représentons, sur une feuille de papier imaginaire, des notes juxtaposées à des notes. Nous pensons à un clavier sur lequel on joue, à l’archet qui va et qui vient, au musicien dont chacun donne sa partie à côté des autres. Faisons abstraction de ces images spatiales : il reste le changement pur, se suffisant à lui-même, nullement attaché à une « chose » qui change.

Revenons alors à la vue. En fixant davantage notre attention, nous nous apercevrons qu’ici même le mouvement n’exige pas un véhicule, ni le changement une substance. Déjà la science physique nous suggère cette vision des choses matérielles. Plus elle progresse, plus elle résout la matière en actions qui cheminent à travers l’espace, en mouvements qui courent çà et là comme des frissons, de sorte que la mobilité devient la réalité même. Sans doute la science commence par assigner à cette mobilité un support. Mais, à mesure qu’elle avance, le support recule ; les masses se pulvérisent en molécules, les molécules en atomes, les atomes en électrons ou corpuscules : finalement, le support assigné au mouvement dans l’infiniment petit semble bien n’être qu’un schéma commode, — simple concession du savant aux habitudes de notre imagination visuelle. Mais point n’est même besoin d’aller aussi loin. Qu’est-ce que le « mobile » auquel notre œil attache le mouvement, comme à un véhicule ? Simple-