brusquement à la conscience du sujet des mots qu’on croyait définitivement perdus. Ces faits, avec beaucoup d’autres, concourent à prouver que le cerveau sert ici à choisir dans le passé, à le diminuer, à le simplifier, à l’utiliser, mais non pas à le conserver. Nous n’aurions aucune peine à envisager les choses de ce biais si nous n’avions contracté l’habitude de croire que le passé est aboli. Alors, sa réapparition partielle nous fait l’effet d’un événement extraordinaire, qui appelle une explication. Et c’est pourquoi nous imaginons çà et là, dans le cerveau, des boîtes à souvenirs qui conserveraient des parties du passé, — le cerveau se conservant d’ailleurs lui-même. Comme si ce n’était pas reculer la difficulté et simplement ajourner le problème ! Comme si, en posant que la matière cérébrale se conserve à travers le temps, ou plus généralement que toute matière dure, on ne lui attribuait pas précisément la mémoire qu’on prétend expliquer par elle ! Quoi que nous fassions, et même si nous supposons que le cerveau emmagasine des souvenirs, nous ne pouvons nous soustraire à la conclusion que le passé est capable de se conserver lui-même, automatiquement.
Ce n’est pas seulement notre passé à nous qui se conserve, c’est le passé de n’importe quel changement, pourvu toutefois que nous ayons bien affaire à un changement unique et, par là même, indivisible : la conservation du passé dans le présent n’est pas autre chose que l’indivisibilité du changement. Il est vrai que, pour les changements qui s’accomplissent en dehors de nous, il est souvent difficile et parfois impossible de dire si l’on a affaire à un changement unique ou, au contraire, à un composé de plusieurs mouvements entre lesquels s’intercalent des arrêts. Il faudrait que nous fussions intérieurs aux choses, comme nous