le sommes à nous-mêmes, pour que nous pussions nous prononcer sûrement sur ce point. Mais là n’est pas l’important. Il suffit de s’être convaincu une fois pour toutes que la réalité est changement, que le changement est indivisible, et que, dans un changement indivisible, le passé fait corps avec le présent.
Pénétrons-nous de cette vérité, et nous voyons fondre et s’évaporer bon nombre d’énigmes philosophiques. Certains grands problèmes, comme celui de la substance, du changement, et de leur rapport, ne se posent même plus. Toutes les difficultés soulevées autour de ces points — difficultés qui ont fait reculer peu à peu la substance jusque dans le domaine de l’inconnaissable — venaient de ce que nous fermons les yeux à l’indivisibilité du changement. Si le changement, qui est évidemment constitutif de toute notre expérience, est la chose fuyante et insaisissable dont la plupart des philosophes ont parlé, si l’on n’y voit qu’une poussière d’états qui remplacent des états, force est bien de rétablir la continuité entre ces états par un lien artificiel ; mais ce substrat immobile de la mobilité, ne pouvant posséder aucun des attributs que nous connaissons — puisque tous sont des changements — recule à mesure que nous essayons d’en approcher : il est aussi insaisissable que le fantôme de changement qu’il était appelé à fixer. Faisons effort, au contraire, pour apercevoir le changement tel qu’il est, dans son indivisibilité naturelle : nous voyons qu’il est la substance même des choses, et ni le mouvement ne nous apparaît plus avec cette instabilité qui le rendait réfractaire à notre pensée, ni la substance avec cette immutabilité qui la rendait inaccessible à notre expérience. Instabilité et immutabilité ne sont alors que des vues abstraites, prises du dehors, sur la continuité du