Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/154

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pour inventer, ni pour accepter l’invention. La logique de l’absurde suffisait, cette logique qui conduit l’esprit de plus en plus loin, à des conséquences de plus en plus extravagantes, quand il part d’une idée étrange sans la rattacher à des origines qui en expliqueraient l’étrangeté et qui en empêcheraient la prolifération. Nous avons tous eu l’occasion de rencontrer quelqu’une de ces familles très unies, très satisfaites d’elles-mêmes, qui se tiennent à l’écart, par timidité ou par dédain. Il n’est pas rare qu’on observe chez elles certaines habitudes bizarres, phobies ou superstitions, qui pourraient devenir graves si elles continuaient à fermenter en vase clos. Chacune de ces singularités a son origine. C’est une idée qui sera venue à tel ou tel membre de la famille, et que les autres auront acceptée de confiance. C’est une promenade qu’on aura faite un dimanche, qu’on aura recommencée le dimanche suivant, et qui s’est imposée alors pour tous les dimanches de l’année : si par malheur on y manquait une fois, on ne sait pas ce qui pourrait arriver. Pour répéter, pour imiter, pour se fier, il suffit de se laisser aller; c’est la critique qui exige un effort. — Donnez-vous alors quelques centaines de siècles au lieu de quelques années ; grossissez énormément les petites excentricités d’une famille qui s’isole : vous vous représenterez sans peine ce qui a dû se passer dans des sociétés primitives qui sont restées closes et satisfaites de leur sort, au lieu de s’ouvrir des fenêtres sur le dehors, de chasser les miasmes au fur et à mesure qu’ils se formaient dans leur atmosphère, et de faire un effort constant pour élargir leur horizon.

Nous venons de déterminer deux fonctions essentielles de la religion, et nous avons rencontré, au cours de notre