Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/171

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supérieures a la sienne. De ce nombre sont les grands bouleversements, un tremblement de terre, une inondation, un ouragan. Une théorie déjà ancienne faisait sortir la religion de la crainte qu’en pareil cas la nature nous inspire : Primus in orbe deos fecit timor. On est allé trop loin en la rejetant complètement ; l’émotion de l’homme devant la nature est sûrement pour quelque chose dans l’origine des religions. Mais, encore une fois, la religion est moins de la crainte qu’une réaction contre la crainte, et elle n’est pas tout de suite croyance à des dieux. Il ne sera pas inutile de procéder ici à cette double vérification. Elle ne confirmera pas seulement nos précédentes analyses ; elle nous fera serrer de plus près ces entités dont nous disions qu’elles participent de la personnalité sans être encore des personnes. Les dieux de la mythologie pourront sortir d’elles ; on les obtiendra par voie d’enrichissement. Mais on tirerait aussi bien d’elles, en les appauvrissant, cette force impersonnelle que les primitifs, nous dit-on, mettent au fond des choses. Suivons donc notre méthode habituelle. Demandons à notre propre conscience, débarrassée de l’acquis, rendue à sa simplicité originelle, comment elle réplique à une agression de la nature. L’observation de soi est ici fort difficile, à cause de la soudaineté des événements graves ; les occasions qu’elle a de s’exercer à fond sont d’ailleurs rares. Mais certaines impressions d’autrefois dont nous n’avons conservé qu’un souvenir confus, et qui étaient déjà superficielles et vagues, deviendront peut-être plus nettes et prendront plus de relief si nous les complétons par l’observation que fit sur lui-même un maître de la science psychologique. William James se trouvait en Californie lors du terrible tremblement de terre d’avril 1906, qui détruisit une partie de San Francisco. Voici la bien imparfaite