Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/185

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plutôt que pensée ; elle est impliquée dans tout un ensemble d’opérations utiles, ou jugées telles ; elle ne s’en dégage, elle ne s’exprime par des mots — nécessairement vagues d’ailleurs — que pour la commodité de l’action. MM. Hubert et Mauss, dans leur très intéressante Théorie générale de la Magie, ont montré avec force que la croyance à la magie est inséparable de la conception du mana. Il semble que, d’après eux, cette croyance dérive de cette conception. La relation, ne serait-elle pas plutôt inverse ? Il ne nous paraît pas probable que la représentation correspondant à des termes tels que « mana », « orenda », etc., ait été formée d’abord, et que la magie soit sortie d’elle. Bien au contraire, c’est parce que l’homme croyait à la magie, parce qu’il la pratiquait, qu’il se serait représenté ainsi les choses : sa magie paraissait réussir, et il se bornait à en expliquer ou plutôt à en exprimer le succès. Que d’ailleurs il ait tout de suite pratiqué la magie, on le comprend aisément : tout de suite il a reconnu que la limite de son influence normale sur le monde extérieur était vite atteinte, et il ne se résignait pas à ne pas aller plus loin. Il continuait donc le mouvement, et comme, par lui-même, le mouvement n’obtenait pas l’effet désiré, il fallait que la nature s’en chargeât. Ce ne pouvait être que si la matière était en quelque sorte aimantée, si elle se tournait d’elle-même vers l’homme, pour recevoir de lui des missions, pour exécuter ses ordres. Elle n’en restait pas moins soumise, comme nous dirions aujourd’hui, à des lois physiques ; il le fallait bien, pour qu’on eût prise mécaniquement sur elle. Mais elle était en outre imprégnée d’humanité, je veux dire chargée d’une force capable d’entrer dans les desseins de l’homme. De cette disposition l’homme pouvait profiter, pour prolonger son action au delà de ce