Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

encore : « On peut influencer un être ou une chose en agissant sur ce qui les a touchés », « la partie vaut pour le tout », etc. Mais l’origine psychologique reste la même. Il s’agit toujours de répéter à tête reposée, en se persuadant qu’il est efficace, l’acte qui a donné la perception quasi hallucinatoire de son efficacité quand il était accompli dans un moment d’exaltation. En temps de sécheresse on demande au magicien d’obtenir la pluie. S’il y mettait encore toute son âme, il se hausserait par un effort d’imagination jusqu’au nuage, il croirait sentir qu’il le crève, il le répandrait en gouttelettes. Mais il trouvera plus simple de se supposer presque redescendu à terre, et de verser alors un peu d’eau : cette minime partie de l’événement le reproduira tout entier, si l’effort qu’il eût fallu lancer de la terre au ciel trouve moyen de se faire suppléer et si la matière intermédiaire est plus ou moins chargée — comme elle pourrait l’être d’électricité positive ou négative — d’une disposition semi-physique et semi-morale à servir ou à contrarier l’homme. On voit comment il y a une magie naturelle, très simple, qui se réduirait à un petit nombre de pratiques. C’est la réflexion sur ces pratiques, ou peut-être simplement leur traduction en mots, qui leur a permis de se multiplier dans tous les sens et de se charger de toutes les superstitions, parce que la formule dépasse toujours le fait qu’elle exprime.

La magie nous paraît donc se résoudre en deux éléments : le désir d’agir sur n’importe quoi, même sur ce qu’on ne peut atteindre, et l’idée que les choses sont chargées, ou se laissent charger, de ce que nous appellerions un fluide humain. Il faut se reporter au premier point pour comparer entre elles la magie et la science, et au second pour rattacher la magie à la religion.