Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/223

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inventions, la même créance. Mais chaque invention, prise à part, est acceptée avec l’arrière-pensée qu’une autre eût été possible. Le panthéon existe indépendamment de l’homme, mais il dépend de l’homme d’y faire entrer un dieu, et de lui conférer ainsi l’existence. Nous nous étonnons aujourd’hui de cet état d’âme. Nous l’expérimentons pourtant en nous dans certains rêves, où nous pouvons introduire à un moment donné l’incident que nous souhaitons : il se réalise par nous dans un ensemble qui s’est posé lui-même, sans nous. On pourrait dire, de même, que chaque dieu déterminé est contingent, alors que la totalité des dieux, ou plutôt le dieu en général, est nécessaire. En creusant ce point, en poussant aussi la logique plus loin que ne l’ont fait les anciens, on trouverait qu’il n’y a jamais eu de pluralisme définitif que dans la croyance aux esprits, et que le polythéisme proprement dit, avec sa mythologie, implique un monothéisme latent, où les divinités multiples n’existent que secondairement, comme représentatives du divin.

Mais les anciens auraient tenu ces considérations pour accessoires. Elles n’auraient d’importance que si la religion était du domaine de la connaissance ou de la contemplation. On pourrait alors traiter un récit mythologique comme un récit historique, et se poser dans un cas comme dans l’autre la question d’authenticité. Mais la vérité est qu’il n’y a pas de comparaison possible entre eux, parce qu’ils ne sont pas du même ordre. L’histoire est connaissance, la religion est principalement action : elle ne concerne la connaissance, comme nous l’avons maintes fois répété, que dans la mesure où une représentation intellectuelle est nécessaire pour parer au danger d’une certaine intellectualité. Considérer à part cette représentation, la critiquer en tant que représentation, serait oublier