Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/237

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qui serait alors l’humanité entière, aimée dans l’amour de ce qui en est le principe. La confiance que la religion statique apportait à l’homme s’en trouverait transfigurée : plus de souci pour l’avenir, plus de retour inquiet sur soi-même ; l’objet n’en vaudrait matériellement plus la peine, et prendrait moralement une signification trop haute. C’est maintenant d’un détachement de chaque chose en particulier que serait fait l’attachement à la vie en général. Mais faudrait-il alors parler encore de religion ? ou fallait-il alors, pour tout ce qui précédait, employer déjà ce mot ? Les deux choses ne diffèrent-elles pas au point de s’exclure, et de ne pouvoir s’appeler du même nom ?

Il y a bien des raisons, cependant, pour parler de religion dans les deux cas. D’abord le mysticisme — car c’est à lui que nous pensons — a beau transporter l’âme sur un autre plan : il ne lui en assure pas moins, sous une forme éminente, la sécurité et la sérénité que la religion statique a pour fonction de procurer. Mais surtout il faut considérer que le mysticisme pur est une essence rare, qu’on le rencontre le plus souvent à l’état de dilution, qu’il n’en communique pas moins alors à la masse à laquelle il se mêle sa couleur et son parfum, et qu’on doit le laisser avec elle, pratiquement inséparable d’elle, si l’on veut le prendre agissant, puisque c’est ainsi qu’il a fini par s’imposer au monde. En se plaçant à ce point de vue, on apercevrait une série de transitions, et comme des différences de degré, là où réellement il y a une différence radicale de nature. Revenons en deux mots sur chacun de ces points.

En le définissant par sa relation à l’élan vital, nous avons implicitement admis que le vrai mysticisme était rare. Nous aurons à parler, un peu plus loin, de sa signification