Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Brahmanisme, Bouddhisme et même Jaïnisme ont donc prêché avec une force croissante l’extinction du vouloir-vivre, et cette prédication se présente au premier abord comme un appel à l’intelligence, les trois doctrines ne différant que par leur degré plus ou moins élevé d’intellectualité. Mais, à y regarder de près, on s’aperçoit que la conviction qu’elles visaient à implanter était loin d’être un état purement intellectuel. Déjà, dans l’ancien Brahmanisme, ce n’est pas par le raisonnement, ce n’est pas par l’étude, que s’obtient la conviction dernière : elle consiste en une vision, communiquée par celui qui a vu. Le Bouddhisme, plus savant d’un côté, est plus mystique encore de l’autre. L’état où il achemine l’âme est au delà du bonheur et de la souffrance, au delà de la conscience. C’est par une série d’étapes, et par toute une discipline mystique, qu’il aboutit au nirvana, suppression du désir pendant la vie et du karma après la mort. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine de la mission du Bouddha est l’illumination qu’il eut dans sa première jeunesse. Tout ce que le Bouddhisme a d’exprimable en mots peut sans doute être traité comme une philosophie ; mais l’essentiel est la révélation définitive, transcendante à la raison comme à la parole. C’est la conviction, graduellement gagnée et subitement obtenue, que le but est atteint : finie la souffrance, qui est tout ce qu’il y a de déterminé, et par conséquent de proprement existant, dans l’existence. Si nous considérons que nous n’avons pas affaire ici à une vue théorique, mais à une expérience qui ressemble beaucoup à une extase, que dans un effort pour coïncider avec l’élan créateur une âme pourrait prendre la voie ainsi décrite et n’échouerait que parce qu’elle se serait arrêtée à mi-chemin, détachée de la vie humaine mais n’atteignant pas à la vie divine, suspendue