Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/29

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aurait affaire à des sociétés moins évoluées et à des consciences plus rudimentaires. Il reste schématique tant que nous nous en tenons à la conscience normale, telle que nous la trouvons aujourd’hui chez un honnête homme. Mais justement parce que nous avons affaire alors à une singulière complication de sentiments, d’idées, de tendances qui s’entrepénètrent, nous n’éviterons les analyses artificielles et les synthèses arbitraires que si nous disposons d’un schéma où figurera l’essentiel. Tel est celui que nous avons essayé de tracer. Représentez-vous l’obligation comme pesant sur la volonté à la manière d’une habitude, chaque obligation traînant derrière elle la masse accumulée des autres et utilisant ainsi, pour la pression qu’elle exerce, le poids de l’ensemble : vous avez le tout de l’obligation pour une conscience morale simple, élémentaire. C’est l’essentiel ; et c’est à quoi l’obligation pourrait à la rigueur se réduire, là même où elle atteint sa complexité la plus haute.

On voit à quel moment et dans quel sens, fort peu kantien, l’obligation élémentaire prend la forme d’un « impératif catégorique ». On serait embarrassé pour découvrir des exemples d’un tel impératif dans la vie courante. La consigne militaire, qui est un ordre non motivé et sans réplique, dit bien qu’« il faut parce qu’il faut ». Mais on a beau ne pas donner au soldat de raison, il en imaginera une. Si nous voulons un cas d’impératif catégorique pur, nous aurons à le construire a priori ou tout au moins à styliser l’expérience. Pensons donc à une fourmi que traverserait une lueur de réflexion et qui jugerait alors qu’elle a bien tort de travailler sans relâche pour les autres. Ses velléités de paresse ne dureraient d’ailleurs que quelques instants, le temps que brillerait l’éclair d’intelligence. Au dernier de ces instants, alors