Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/30

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que l’instinct, reprenant le dessus, la ramènerait de vive force à sa tâche, l’intelligence que va résorber l’instinct dirait en guise d’adieu : il faut parce qu’il faut. Cet « il faut parce qu’il faut » ne serait que la conscience momentanément prise d’une traction subie, — de la traction qu’exercerait en se retendant le fil momentanément détendu. Le même commandement retentirait à l’oreille du somnambule qui se préparerait, qui commencerait même à sortir du rêve qu’il joue : s’il retombait tout de suite en somnambulisme, un impératif catégorique exprimerait en mots, pour la réflexion qui aurait failli surgir et qui se serait aussitôt évanouie, l’inévitabilité du retour. Bref, un impératif absolument catégorique est de nature instinctive ou somnambulique : joué comme tel à l’état normal, représenté comme tel si la réflexion s’éveille juste assez longtemps pour qu’il puisse se formuler, pas assez longtemps pour qu’il puisse se chercher des raisons, Mais alors, n’est-il pas évident que, chez un être raisonnable un impératif tendra d’autant plus à prendre la forme catégorique que l’activité déployée, encore qu’intelligente, tendra davantage à prendre la forme instinctive ? Mais une activité qui, d’abord intelligente, s’achemine à une imitation de l’instinct est précisément ce qu’on appelle chez l’homme une habitude. Et l’habitude la plus puissante, celle dont la force est faite de toutes les forces accumulées, de toutes les habitudes sociales élémentaires, est nécessairement celle qui imite le mieux l’instinct. Est-il étonnant alors que, dans le court moment qui sépare l’obligation purement vécue de l’obligation pleinement représentée et justifiée par toute sorte de raisons, l’obligation prenne en effet la forme de l’impératif catégorique : « il faut parce qu’il faut » ?

Considérons deux lignes divergentes d’évolution, et des