Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/301

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elle croit que le problème est de ramener tous les motifs moraux à un seul. Elle n’a d’ailleurs que l’embarras du choix. Intérêt général, intérêt personnel, amour-propre, sympathie, pitié, cohérence rationnelle, etc., il n’est aucun principe d’action dont on ne puisse déduire à peu près la morale généralement admise. Il est vrai que la facilité de l’opération, et le caractère simplement approximatif du résultat qu’elle donne, devraient nous mettre en garde contre elle. Si des règles de conduite presque identiques se tirent tant bien que mal de principes aussi différents, c’est probablement qu’aucun des principes n’était pris dans ce qu’il avait de spécifique. Le philosophe était allé le cueillir dans le milieu social, où tout se compénètre, où l’égoïsme et la vanité sont lestés de sociabilité : rien d’étonnant alors à ce qu’il retrouve en chacun d’eux la morale qu’il y a mise ou laissée. Mais la morale elle-même reste inexpliquée, puisqu’il aurait fallu creuser la vie sociale en tant que discipline exigée par la nature, et creuser la nature elle-même en tant que créée par la vie en général. On serait ainsi arrivé à la racine même de la morale, que cherche vainement le pur intellectualisme : celui-ci ne peut que donner des conseils, alléguer des raisons, que rien ne nous empêchera de combattre par d’autres raisons. A vrai dire, il sous-entend toujours que le motif invoqué par lui est « préférable » aux autres, qu’il y a entre les motifs des différences de valeur, qu’il existe un idéal général auquel rapporter le réel. Il se ménage donc un refuge dans la théorie platonicienne, avec une Idée du Bien qui domine toutes les autres : les raisons d’agir s’échelonneraient au-dessous de l’Idée du Bien, les meilleures étant celles qui s’en rapprochent le plus ; l’attrait du Bien serait le principe de l’obligation. Mais on est alors très embarrassé pour dire à quel signe nous