Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/321

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qui s’en remettent aux juges du soin de trancher un différend y sont obscurément encouragés par l’instinct de discipline immanent à la société close : une dispute les avait écartés accidentellement de la position normale, qui était une exacte insertion dans la société ; ils y reviennent, comme le pendule à la verticale. Bien plus grave est donc la difficulté. Est-ce en vain, cependant, qu’on cherche à la surmonter ?

Nous ne le pensons pas. Le présent travail avait pour objet de rechercher les origines de la morale et de la religion. Nous avons abouti à certaines conclusions. Nous pourrions en rester là. Mais puisqu’au fond de nos conclusions il y avait une distinction radicale entre la société close et la société ouverte, puisque les tendances de la société close nous ont paru subsister, indéracinables, dans la société qui s’ouvre, puisque tous ces instincts de discipline convergeaient primitivement vers l’instinct de guerre, nous devons nous demander dans quelle mesure l’instinct originel pourra être réprimé ou tourné, et répondre par quelques considérations additionnelles à une question qui se pose à nous tout naturellement.

L’instinct guerrier a beau exister par lui-même, il ne s’en accroche pas moins à des motifs rationnels. L’histoire nous apprend que ces motifs ont été très variés. Ils se réduisent de plus en plus, à mesure que les guerres deviennent plus terribles. La dernière guerre, avec celles qu’on entrevoit pour l’avenir si par malheur nous devons avoir encore des guerres, est liée au caractère industriel de notre civilisation. Si l’on veut une figuration schématique, simplifiée et stylisée, des conflits d’aujourd’hui, on devra d’abord se représenter les nations comme des populations purement agricoles. Elles vivent des produits de leurs terres. Supposons qu’elles aient tout juste de quoi