Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/322

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se nourrir. Elles s’accroîtront dans la mesure où elles obtiendront de la terre un meilleur rendement. Jusque-là tout va bien. Mais s’il y a un trop-plein de population, et s’il ne veut pas se déverser au dehors, ou s’il ne le peut pas parce que l’étranger ferme ses portes, où trouvera-t-il sa nourriture ? L’industrie arrangera les choses. La population qui est en excédent se fera ouvrière. Si le pays ne possède pas la force motrice pour actionner des machines, le fer pour en construire, des matières premières pour la fabrication, elle tâchera de les emprunter à l’étranger. Elle paiera sa dette, et recevra de plus la nourriture qu’elle ne trouve pas chez elle, en renvoyant à l’étranger les produits manufacturés. Les ouvriers se trouveront ainsi être des « émigrés à l’intérieur ». L’étranger les emploie comme il l’aurait fait chez lui ; il préfère les laisser — ou peut-être ont-ils préféré rester — là où ils sont ; mais c’est de l’étranger qu’ils dépendent. Que l’étranger n’accepte plus leurs produits, ou qu’il ne leur fournisse plus les moyens de fabriquer, les voilà condamnés à mourir de faim. À moins qu’ils ne se décident, entraînant avec eux leur pays, à aller prendre ce qu’on leur refuse. Ce sera la guerre. Il va sans dire que les choses ne se passent jamais aussi simplement. Sans être précisément menacé de mourir de faim, on estime que la vie est sans intérêt si l’on n’a pas le confort, l’amusement, le luxe ; on tient l’industrie nationale pour insuffisante si elle se borne à vivre, si elle ne donne pas la richesse ; un pays se juge incomplet s’il n’a pas de bons ports, des colonies, etc. De tout cela peut sortir la guerre. Mais le schéma que nous venons de tracer marque suffisamment les causes essentielles : accroissement de population, perte de débouchés, privation de combustible et de matières premières.