Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/349

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vivons. Il n’était d’ailleurs pas souhaitable que l’on commençât par la science de l’esprit : elle ne fût pas arrivée par elle-même à la précision, à la rigueur, au souci de la preuve, qui se sont propagés de la géométrie à la physique, à la chimie et à la biologie, en attendant de rebondir sur elle. Toutefois, par un autre côté, elle n’a pas été sans souffrir d’être venue si tard. L’intelligence humaine a pu en effet, dans l’intervalle, faire légitimer par la science et investir ainsi d’une autorité incontestée son habitude de tout voir dans l’espace, de tout expliquer par la matière. Se porte-t-elle alors sur l’âme ? Elle se donne une représentation spatiale de la vie intérieure ; elle étend à son nouvel objet l’image qu’elle a gardée de l’ancien : d’où les erreurs d’une psychologie atomistique des états de conscience ; d’où les inutiles efforts d’une philosophie qui prétend atteindre l’esprit sans le chercher dans la durée. S’agit-il de la relation de l’âme au corps ? La confusion est encore plus grave. Elle n’a pas seulement mis la métaphysique sur une fausse piste ; elle a détourné la science de l’observation de certains faits, ou plutôt elle a empêché de naître certaines sciences, excommuniées par avance au nom de je ne sais quel dogme. Il a été entendu en effet que le concomitant matériel de l’activité mentale en était l’équivalent : toute réalité étant censée avoir une base spatiale, on ne doit rien trouver de plus dans l’esprit que ce qu’un physiologiste surhumain lirait dans le cerveau correspondant. Remarquons que cette thèse est une pure hypothèse métaphysique, interprétation arbitraire des faits. Mais non moins arbitraire est la métaphysique spiritualiste qu’on y oppose, et d’après laquelle chaque état d’âme utiliserait un état cérébral qui lui servirait simplement d’instrument ;