Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que, dans l’état actuel des choses, la raison doive apparaître comme seule impérative, que l’intérêt de l’humanité soit d’attribuer aux concepts moraux une autorité propre et une force intrinsèque, enfin que l’activité morale, dans une société civilisée, soit essentiellement rationnelle, cela n’est pas douteux. Comment saurait-on autrement ce qu’on doit faire dans chaque cas particulier ? Des forces profondes sont là, l’une d’impulsion et l’autre d’attraction : nous ne pouvons nous reporter directement à elles chaque fois qu’il y a une décision à prendre. Ce serait le plus souvent refaire inutilement un travail que la société en général d’une part, l’élite de l’humanité de l’autre, ont fait pour nous. Ce travail a abouti à formuler des règles et à dessiner un idéal : ce sera vivre moralement que de suivre ces règles, que de se conformer à cet idéal. Ainsi seulement on sera sûr de rester pleinement d’accord avec soi-même : il n’y a de cohérent que le rationnel. Ainsi seulement pourront être comparées entre elles les diverses lignes de conduite ; ainsi seulement pourra être appréciée leur valeur morale. La chose est tellement évidente que nous l’avons à peine indiquée ; nous l’avons presque toujours sous-entendue. Mais il résultait de là que notre exposé restait schématique et pouvait paraître insuffisant. Sur le plan intellectuel, en effet, toutes les exigences de la morale se compénètrent dans des concepts dont chacun, comme la monade leibnizienne, est plus ou moins représentatif de tous les autres. Au-dessus ou au-dessous de ce plan nous trouvons des forces dont chacune, prise isolément, ne correspond qu’à une partie de ce qui a été projeté sur le plan intellectuel. Comme cet inconvénient de la méthode que nous avons suivie est incontestable, comme d’ailleurs il est inévitable, comme nous voyons que la méthode