Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/108

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montrer, en ce qui concerne les choses apprises, comment les deux mémoires vont ici côte à côte et se prêtent un mutuel appui. Que les leçons inculquées à la mémoire motrice se répètent automatiquement, c’est ce que montre l’expérience journalière ; mais l’observation des cas pathologiques établit que l’automatisme s’étend ici beaucoup plus loin que nous ne pensons. On a vu des démente faire des réponses intelligentes à une suite de questions qu’ils ne comprenaient pas : le langage fonctionnait chez eux à la manière d’un réflexe[1]. Des aphasiques, incapables de prononcer spontanément un mot, se remémorent sans erreur les paroles d’une mélodie quand ils la chantent[2]. Ou bien encore ils réciteront couramment une prière, la série des nombres, celles des jours de la semaine et des mois de l’année[3]. Ainsi des mécanismes d’une complication extrême, assez subtils pour imiter l’intelligence, peuvent fonc­tionner d’eux-mêmes une fois construits, et par conséquent obéir d’ordinaire à la seule impulsion initiale de la volonté. Mais que se passe-t-il pendant que nous les construisons ? Quand nous nous exerçons à apprendre une leçon, par exemple, l’image visuelle ou auditive que nous cherchons à recomposer par des mouvements ne serait-elle pas déjà dans notre esprit, invisible et pré­sente ? Dès la première récitation, nous reconnaissons à un vague sentiment de malaise telle erreur que nous venons de commettre, comme si nous rece­vions des obscures profondeurs

  1. ROBERTSON, Reflex Speech (journal of mental Science, avril 1888). Cf. l’article de Ch. FÉRÉ, Le langage réflexe (Revue philosophique, janvier 1896).
  2. OPPENHEIM, Ueber das Verhalten der musikalischen Ausdrucksbewegungen bel Aphatischen (Charité Annalen, XIII, 1888, p. 348 et suiv.).
  3. Ibid., p. 365.