Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/116

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reconnaissait rien et n’arrivait pas à s’orienter. Des faits du même genre ont été observés par Fr. Müller[1] et Lissauer[2]. Les malades savent évoquer la vision intérieure d’un objet qu’on leur nomme ; ils le décrivent fort bien ; ils ne peuvent cependant le reconnaître quand on le leur présente. La conservation, même consciente, d’un souvenir visuel ne suffit donc pas à la reconnaissance d’une perception semblable. Mais inversement, dans le cas étudié par Charcot[3] et devenu classique d’une éclipse complète des images visuelles, toute reconnaissance des perceptions n’était pas abolie. On s’en convaincra sans peine en lisant de près la relation de ce cas. Le sujet ne reconnaissait plus, sans doute, les rues de sa ville natale, en ce qu’il ne pouvait ni les nommer ni s’y orienter ; il savait pourtant que c’étaient des rues, et qu’il voyait des maisons. Il ne reconnaissait plus sa femme et ses enfants il pouvait dire cependant, en les apercevant, que c’était une femme, que c’étaient des enfants. Rien de tout cela n’eût été possible s’il y avait eu cécité psychique au sens absolu du mot. Ce qui était aboli, c’était donc une certaine espèce de reconnaissance, que nous aurons à analyser, mais non pas la faculté générale de reconnaître. Concluons que toute reconnaissance n’implique pas toujours l’intervention d’une image ancienne, et qu’on peut aussi bien faire appel à ces images sans réussir à identifier les perceptions avec elles. Qu’est-ce donc enfin que la reconnaissance, et comment la définirons-nous ?

  1. Ein Beitrag zur Kenntniss der Seelenblindheit : (Arch. f.. Psychiatrie, t. XXIV, 1892).
  2. Ein Fall von Seelenblindheit (Arch. f. Psychiatrie, 1889).
  3. Relaté par BERNARD, Un cas de suppression brusque et isolée de la vision mentale (Progrès médical, 21 juillet 1883).