Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/118

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e, est ici le fond du sentiment de la familiarité ? À la base de la recon­naissance il y aurait donc bien un phénomène d’ordre moteur.

Reconnaître un objet usuel consiste surtout à savoir s’en servir. Cela est si vrai que les premiers observateurs avaient donné le nom d’apraxie à cette maladie de la reconnaissance que nous appelons cécité psychique[1]. Mais savoir s’en servir, c’est déjà esquisser les mouvements qui s’y adaptent, c’est prendre une certaine attitude ou tout au moins y tendre par l’effet de ce que les Allemands ont appelé des « impulsions motrices » (Bewegungsantriebe). L’habitude d’utiliser l’objet a donc fini par organiser ensemble mouvements et perceptions, et la conscience de ces mouvements naissants, qui suivraient la perception à la manière d’un réflexe, serait, ici encore, au fond de la recon­naissance.

Il n’y a pas de perception qui ne se prolonge en mouvement. Ribot[2] et Maudsley[3] ont depuis longtemps attiré l’attention sur ce point. L’éducation des sens consiste précisément dans l’ensemble des connexions établies entre l’impression sensorielle et le mouvement qui l’utilise. À mesure que l’impres­sion se répète, la connexion se consolide. Le mécanisme de l’opération n’a d’ailleurs rien de mystérieux. Notre système nerveux est évidemment disposé en vue de la construction d’appareils moteurs, reliés, par l’intermédiaire

  1. KUSSMAUL, Les troubles de la parole, Paris, 1884, p. 233 ; — Allen STARR, Apraxia and Aphasia (Medical Record, 27 octobre 1888). — Cf. LAQUER, Zur Localisation der sensorischen Aphasie (Neurolog Centralblatt, 15 juin 1888), et DODDS, On some central affections of vision (Brain, 1885).
  2. Les mouvements et leur importance psychologique (Revue philosophique, 1879, t. VIII, p. 371 et suiv.). — Cf. Psychologie de l’attention, Paris, 1889, p. 75 (Félix Alcan, éditeur).
  3. Physiologie de l’esprit, Paris, 1879, p. 207 et suivantes.