Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/119

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des centres, à des excitations sensibles, et la discontinuité des éléments nerveux, la multiplicité de leurs arborisations terminales capables sans doute de se rap­procher diversement, rendent illimité le nombre des connexions possibles entre les impressions et les mouvements correspondants. Mais le mécanisme en voie de construction ne saurait apparaître à la conscience sous la même forme que le mécanisme construit. Quelque chose distingue profondément et manifeste clairement les systèmes de mouvements consolidés dans l’organis­me. C’est surtout, croyons-nous, la difficulté d’en modifier l’ordre. C’est encore cette préformation des mouvements qui suivent dans les mouvements qui précèdent, préformation qui fait que la partie contient virtuellement le tout, comme il arrive lorsque chaque note d’une mélodie apprise, par exemple, reste penchée sur la suivante pour en surveiller l’exécution[1]. Si donc toute per­ception usuelle a son accompagnement moteur organisé, le sentiment de reconnaissance usuel a sa racine dans la conscience de cette organisation.

C’est dire que nous jouons d’ordinaire notre reconnaissance avant de la penser. Notre vie journalière se déroule parmi des objets dont la seule pré­sence nous invite à jouer un rôle : en cela consiste leur aspect de familiarité. Les tendances motrices suffiraient donc déjà à nous donner le sentiment de la reconnaissance. Mais, hâtons-nous de le dire, il s’y joint le plus souvent autre chose.

Tandis, en effet, que des appareils moteurs se montent sous l’

  1. Dans un des plus ingénieux chapitres de sa Psychologie (Paris, 1893, t.I, p. 242) A. FOUILLÉE a dit que le sentiment de la familiarité était fait, en grande partie, de la diminution du choc intérieur qui constitue la surprise.