Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/123

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d’un trait le schème ? Mais si ce sont précisé­ment les habitudes ou lei ; correspondances de ce genre qui se dissolvent dans certaines formes de la cécité psychique, le malade pourra encore, peut-être, tracer des éléments de ligne qu’il raccordera tant bien que mal entre eux ; il ne saura plus dessiner d’un trait continu, parce qu’il n’aura plus dans la main le mouvement des contours. Or, c’est précisément ce que l’expérience vérifie. L’observation de Lissauer est déjà instructive à cet égard[1]. Son malade avait la plus grande peine à dessiner les objets simples, et s’il voulait les dessiner de tête, il en traçait des portions détachées, prises çà et là, et qu’il n’arrivait pas à relier les unes aux autres. Mais les cas de cécité psychique complète sont rares. Beaucoup plus nombreux sont ceux de cécité verbale, c’est-à-dire d’une perte de la reconnaissance visuelle limitée aux caractères de l’alphabet. Or c’est un fait d’observation courante que l’impuissance du malade, en pareil cas, à saisir ce qu’on pourrait appeler le mouvement des lettres quand il essaie de les copier. Il en commence le dessin en un point quelconque, vérifiant à tout moment s’il reste d’accord avec le modèle. Et cela est d’autant plus remar­quable qu’il a souvent conservé intacte la faculté d’écrire sous la dictée ou spontanément. Ce qui est aboli ici, c’est donc bien l’habitude de démêler les articulations de l’objet aperçu, c’est-à-dire d’en compléter la perception visuelle par une tendance motrice à en dessiner le schème. D’où l’on peut con­clure, comme nous l’avions annoncé, que là est bien la condition primordiale de la reconnaissance.

Mais nous devons passer maintenant de la reconnaissance

  1. Article cité, Arch. f. Psychiatrie, 1889-90, p. 233.