Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/130

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ont qu’une parenté plus ou moins lointaine. Elles se portent toutes à la rencontre de la perception, et nourries de la substance de celle-ci, elles acquièrent assez de force et de vie pour s’extérioriser avec elle. Les expériences de Münsterberg[1], de Külpe[2], ne laissent aucun doute sur ce dernier point : toute image-souvenir capable d’interpréter notre perception actuelle s’y glisse si bien que nous ne savons plus discerner ce qui est perception et ce qui est souvenir. Mais rien de plus intéressant, à cet égard, que les ingénieuses expériences de Goldscheider et Müller sur le mécanisme de la lecture[3]. Contre Grashey, qui avait soutenu dans un travail célèbre[4] que nous lisons les mots lettre par lettre, ces expéri­mentateurs ont établi que la lecture courante est un véritable travail de divina­tion, notre esprit cueillant çà et là quelques traits caractéristiques et comblant tout l’intervalle par des souvenirs-images qui, projetés sur le papier, se substituent aux caractères réellement imprimés et nous en donnent l’illusion. Ainsi, nous créons ou reconstruisons sans cesse. Notre perception distincte est véritablement comparable à un cercle fermé, où l’image-perception dirigée sur l’esprit et l’image-souvenir lancée dans l’espace courraient l’une derrière l’autre.

Insistons sur ce dernier point. On se représente volontiers la perception attentive comme une série de processus qui chemineraient le long d’un fil unique, l’objet excitant des

  1. Beitr. zur experimentellen Psychologie, Heft 4, p. 15 et suiv.
  2. Grundriss der Psychologie, Leipzig, 1893, p. 185.
  3. Zur Physiologie und Pathologie des Lesens (Zeitschr. f. klinische Medicin, 1893). Cf. MCKEEN CATTELL, Ueber die Zeit der Erkennung von Schriftzeichen (Philos. studien, 1885-86).
  4. Ueber Aphasie und ihre Beziehungen zur Wahrnehmung (Arch. f. Psychiairie, 1885, t. XVI).