Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/136

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de deux espèces absolument distinctes de cécité et de surdité psychiques, de cécité et de surdité verbales. Dans la première, les souvenirs visuels ou audi­tifs sont encore évoqués, mais ne peuvent plus s’appliquer sur les perceptions correspondantes. Dans la seconde, l’évocation des souvenirs est elle-même empêchée. La lésion porte-t-elle bien, comme nous le disions, sur les mécanis­mes sensori-moteurs de l’attention automatique dans le premier cas, sur les mécanismes imaginatifs de l’attention volontaire dans l’autre ? Pour vérifier notre hypothèse, nous devons nous limiter à un exemple précis. Certes, nous pourrions montrer que la reconnaissance visuelle des choses en général, des mots en particulier, implique un processus moteur semi-automatique d’abord, puis une projection active de souvenirs qui s’insèrent dans les attitudes corres­pondantes. Mais nous aimons mieux nous attacher aux impressions de Poule, et plus spécialement à l’audition du langage articulé, parce que cet exemple est le plus compréhensif de tous. Entendre la parole, en effet, c’est d’abord en reconnaître le son, c’est ensuite en retrouver le sens, c’est enfin en pousser plus ou moins loin l’interprétation : bref, c’est passer par tous les degrés de l’atten­tion et exercer plusieurs puissances successives de la mémoire. De plus, il n’y a pas de troubles plus fréquents ni mieux étudiés que ceux de la mémoire auditive des mots. Enfin l’abolition des images verbales acoustiques ne va pas sans la lésion grave de certaines circonvolutions déterminées de l’écorce : un exemple incontesté de localisation va donc nous être fourni, sur lequel nous pourrons nous demander si le cerveau est réellement capable d’emmagasiner des souvenirs. Nous devons donc montrer dans la reconnaissance auditive