Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/139

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nous appellerons le schème moteur de la parole entendue. Former son oreille aux éléments d’une langue nouvelle ne consisterait alors ni à modifier le son brut ni à lui adjoindre un souvenir ; ce serait coordonner les tendances motrices des muscles de la voix aux impressions de l’oreille, ce serait perfec­tionner l’accompagnement moteur.

Pour apprendre un exercice physique, nous commençons par imiter le mouvement dans son ensemble, tel que nos yeux nous le montrent du dehors, tel que nous avons cru le voir s’exécuter. Notre perception en a été confuse : confus sera le mouvement qui s’essaie à le répéter. Mais tandis que notre per­ception visuelle était celle d’un tout continu, le mouvement par lequel nous cherchons à en reconstituer l’image est composé d’une multitude de contrac­tions et de tensions musculaires ; et la conscience que nous en avons comprend elle-même des sensations multiples, provenant du jeu varié des articulations. Le mouvement confus qui imite l’image en est donc déjà la décomposition virtuelle ; il porte en lui, pour ainsi dire, de quoi s’analyser. Le progrès qui naîtra de la répétition et de l’exercice consistera simplement à dégager ce qui était enveloppé d’abord, à donner à chacun des mouvements élémentaires cette autonomie qui assure la précision, tout en lui conservant avec les autres la solidarité sans laquelle il deviendrait inutile. On a raison de dire que l’habi­tude s’acquiert par la répétition de l’effort ; mais à quoi servirait l’effort répété, s’il reproduisait toujours la même chose ? La répétition a pour véritable effet de décomposer d’abord, de recomposer ensuite, et de parler ainsi à l’intelli­gence du corps. Elle développe, à chaque nouvel essai, des mouvements enveloppés ; elle appelle chaque fois l’attention du corps sur un nouveau