Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/152

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e où entreront d’autres substantifs[1], et parfois le substantif rebelle lui-même : ne pouvant penser le mot juste, il a pensé l’action correspondante, et cette attitude a déterminé la direction générale d’un mouvement d’où la phrase est sortie. C’est ainsi qu’il nous arrive, ayant retenu l’initiale d’un nom oublié, de retrou­ver le nom à force de prononcer l’initiale[2]. — Ainsi, dans les faits du second genre, c’est la fonction qui est atteinte dans son ensemble, et dans ceux du premier genre l’oubli, plus net en apparence, ne doit jamais être définitif en réalité. Pas plus dans un cas que dans l’autre, nous ne trouvons des souvenirs localisés dans des cellules déterminées de la substance cérébrale, et qu’une destruction de ces cellules abolirait.

Mais interrogeons notre conscience. Demandons-lui ce qui se passe quand nous écoutons la parole d’autrui avec l’idée de la comprendre. Attendons-nous, passifs, que les impressions aillent chercher leurs images ? Ne sentons-nous pas plutôt que nous nous plaçons dans une certaine disposition, variable avec l’interlocuteur, variable avec la langue qu’il parle, avec le genre d’idées qu’il exprime et surtout avec le mouvement général de sa phrase, comme si nous commencions par régler le ton de notre travail intellectuel ? Le schème moteur, soulignant ses intonations, suivant, de détour en détour, la courbe de sa pensée, montre à notre pensée le chemin. Il est le récipient vide, détermi­nant, par sa forme, la forme où tend la masse fluide qui s’y précipite.

Mais on hésitera à comprendre ainsi le mécanisme de l’interpré

  1. BERNARD, De raphasie, Parts, 1889, pp. 171 et 174.
  2. Graves cite le cas d’un malade qui avait oublié tous les noms, mais se souvenait de leur initiale, et arrivait par elle à les retrouver. (Cité par BERNARD, De l’aphasie, p. 179.)