Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/18

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et le cerveau, c’est incontestable. Mais il y a solidarité aussi entre le vêtement et le clou auquel il est accroché, car si l’on arrache le clou, le vêtement tombe. Dira-t-on, pour cela, que la forme du clou dessine la forme du vêtement ou nous permette en aucune façon de la pressentir ? Ainsi, de ce que le fait psychologique est accroché à un état cérébral, on ne peut conclure au « parallélisme » des deux séries psychologique et physiologique. Quand la philosophie prétend appuyer cette thèse paralléliste sur les données de la science, elle commet un véritable cercle vicieux : car, si la science interprète la solidarité, qui est un fait, dans le sens du parallélisme, qui est une hypothèse (et une hypothèse assez peu intelligible[1] ), c’est, consciemment ou inconsciemment, pour des raisons d’ordre philosophique. C’est parce qu’elle a été habituée par une certaine philosophie à croire qu’il n’y a pas d’hypothèse plus plausible, plus conforme aux intérêts de la science positive.

Or, dès qu’on demande aux faits des indications précises pour résoudre le problème, c’est sur le terrain de la mémoire qu’on se trouve transporté. On pouvait s’y attendre, car le souvenir, — ainsi que nous essayons de le montrer dans le présent ouvrage, — représente précisément le point d’intersection entre l’esprit et la matière.

  1. Sur ce dernier point nous nous sommes appesanti plus particulièrement dans un article intitulé : Le paralogisme psycho-physiologique (Revue de Métaphysique et de Morale, novembre 1904).