Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/180

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dépensée. La partie non per­çue de l’univers matériel, grosse de promesses et de menaces, a donc pour nous une réalité que ne peuvent ni ne doivent avoir les périodes actuel lement inaperçues de notre existence passée. Mais cette distinction, toute relative à l’utilité pratique et aux besoins matériels de la vie, prend dans notre esprit la forme de plus en plus nette d’une distinction métaphysique.

Nous avons montré en effet que les objets situés autour de nous repré­sentent, à des degrés différents, une action que nous pouvons accomplir sur les choses ou que nous devrons subir d’elles. L’échéance de cette action possible est justement marquée par le plus ou moins grand éloignement de l’objet correspondant, de sorte que la distance dans l’espace mesure la proximité d’une menace ou d’une promesse dans le temps. L’espace nous fournit donc ainsi tout d’un coup le schème de notre avenir prochain ; et comme cet avenir doit s’écouler indéfiniment, l’espace qui le symbolise a pour propriété de demeurer, dans son immobilité, indéfiniment ouvert. De là vient que l’horizon immédiat donné à notre perception nous paraît nécessairement environné d’un cercle plus large, existant quoique inaperçu, ce cercle en impliquant lui-même un autre qui l’entoure, et ainsi de suite indéfiniment. Il est donc de l’essence de notre perception actuelle, en tant qu’étendue, de n’être toujours qu’un contenu par rapport à une expérience plus vaste, et même indéfinie, qui la contient : et cette expérience, absente de notre conscience puisqu’elle déborde l’horizon aperçu, n’en paraît pas moins actuellement donnée. Mais tandis que nous nous sentons suspendus à ces objets matériels que nous érigeons ainsi en réalités présentes, au contraire nos souvenirs, en tant que passés, sont autant de poids