Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/195

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de tous les objets auxquels le mot ne s’applique pas. La généralisation ne va donc pas, semble-t-il, sans la considération abstraite des qualités communes, et, de degré en degré, le nominalisme va être amené à définir l’idée générale par sa compréhension, et non plus seulement par son extension comme il le voulait d’abord. C’est de cette compréhension que part le conceptualisme. L’intelli­gence, d’après lui, résout l’unité superficielle de l’individu en qualités diverses, dont chacune, isolée de l’individu qui la limitait, devient, par là même, repré­sentative d’un genre. Au lieu de considérer chaque genre comme comprenant en acte, une multiplicité d’objets, on veut au contraire maintenant que chaque objet renferme, en puissance, et comme autant de qualités qu’il retiendrait prisonnières, une multiplicité de genres. Mais la question est précisément de savoir si des qualités individuelles, même isolées par un effort d’abstraction, ne restent pas individuelles comme elles l’étaient d’abord, et si, pour les ériger en genres, une nouvelle démarche de l’esprit n’est pas nécessaire, par laquelle il impose d’abord à chaque qualité un nom, puis collectionne sous ce nom une multiplicité d’objets individuels. La blancheur d’un lis n’est pas la blancheur d’une nappe de neige ; elles restent, même isolées de la neige et du lis, blancheur de lis et blancheur de neige. Elles ne renoncent à leur individualité que si nous tenons compte de leur ressemblance pour leur donner un nom commun : appliquant alors ce nom à un nombre indéfini d’objets semblables, nous renvoyons à la qualité, par une espèce de ricochet, la généralité que le mot est allé chercher dans son application aux choses. Mais en raisonnant ainsi, ne revient-on pas au point de vue de l’extension qu’on avait abandonné d’