Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/199

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les mêmes réactions motrices, si l’organisme peut en extraire les mêmes effets utiles, si elles impriment au corps la même attitude, quelque chose de commun s’en dégagera, et l’idée générale aura ainsi été sentie, subie, avant d’être représentée. — Nous voici donc enfin affranchis du cercle où nous paraissions enfermés d’abord. Pour généraliser, disions-nous, il faut abstraire les ressemblances, mais pour dégager utilement la ressemblance, il faut déjà savoir généraliser. La vérité est qu’il n’y a pas de cercle, parce que la ressem­blance d’où l’esprit part, quand il abstrait d’abord, n’est pas la ressemblance où l’esprit aboutit lorsque, consciemment, il généralise. Celle d’où il part est une ressemblance sentie, vécue, ou, si vous voulez, automatiquement jouée. Celle où il revient est une ressemblance intelligemment aperçue ou pensée. Et c’est précisément au cours de ce progrès que se construisent, par le double effort de l’entendement et de la mémoire, la perception des individus et la conception des genres, — la mémoire greffant des distinctions sur les ressemblances spontanément abstraites, l’entendement dégageant de l’habitude des ressem­blances l’idée claire de la généralité. Cette idée de généralité n’était à l’origine que notre conscience d’une identité d’attitude dans une diversité de situations ; c’était l’habitude même, remontant de la sphère des mouvements vers celle de la pensée. Mais, des genres ainsi esquissés mécaniquement par l’habitude, nous avons passé, par un effort de réflexion accompli sur cette opération même, à l’idée générale du genre ; et une fois cette idée constituée, nous avons construit, cette fois volontairement, un nombre illimité de notions générales. Il n’est pas nécessaire ici de suivre l’intelligence dans le détail de cette cons­truction. Bornons-nous à dire