Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/216

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avons de la réalité présente consis­terait en effet dans la conscience que nous prenons des mouvements effectifs par lesquels notre organisme répond naturellement aux excitations ; — de sorte que là où les relations se détendent ou se gâtent entre sensations et mouve­ments, le sens du réel s’affaiblit ou disparaît[1].

Il y aurait d’ailleurs ici une foule de distinctions à faire, non seulement entre les diverses formes de l’aliénation, mais encore entre l’aliénation propre­ment dite et ces scissions de la personnalité qu’une psychologie récente en a si curieusement rapprochées[2]. Dans ces maladies de la personnalité, il semble que des groupes de souvenirs se détachent de la mémoire centrale et renoncent à leur solidarité avec les autres. Mais il est rare qu’on n’observe pas aussi des scissions concomitantes de la sensibilité et de la motricité[3]. Nous ne pouvons nous empêcher de voir dans ces derniers phénomènes le véritable substrat matériel des premiers. S’il est vrai que notre vie intellectuelle repose tout entière sur sa pointe, c’est-à-dire sur les fonctions sensori-motrices par les­quelles elle s’insère dans la réalité présente, l’équilibre intellectuel sera diversement troublé selon que ces fonctions seront lésées d’une manière ou d’une autre. Or, à côté des lésions qui affectent la vitalité générale des fonc­tions sensori-motrices, affaiblissant ou abolissant ce que nous avons appelé le sens du réel, il en est d’autres qui se traduisent par une diminution mécanique, et non plus dynamique, de ces fonctions, comme si

  1. Voir plus haut, p. 152.
  2. Pierre JANET, Les accidents mentaux, Paris, 1894, p. 292 et suiv.
  3. Pierre JANET, L’automatisme psychologique, Paris, 1889, p. 95 et suiv.