Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/217

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certaines connexions sensori-motrices se séparaient purement et simplement des autres. Si notre hypothèse est fondée, la mémoire sera très diversement atteinte dans les deux cas. Dans le premier, aucun souvenir ne sera distrait, mais tous les souvenirs seront moins lestés, moins solidement orientés vers le réel, d’où une rupture véritable de l’équilibre mental. Dans le second, l’équilibre ne sera pas rompu, mais il perdra de sa complexité. Les souvenirs conserveront leur aspect normal, mais renonceront en partie à leur solidarité, parce que leur base sensori-motrice, au lieu d’être pour ainsi dire chimiquement altérée, sera mécaniquement diminuée. Pas plus dans un cas que dans l’autre, d’ailleurs, les souvenirs ne seront directement atteints ou lésés.

L’idée que le corps conserve des souvenirs sous forme de dispositifs céré­braux, que les pertes et les diminutions de la mémoire consistent dans la destruction plus ou moins complète de ces mécanismes, l’exaltation de la mémoire et l’hallucination au contraire dans une exagération de leur activité, n’est donc confirmée ni par le raisonnement ni par les faits. La vérité est qu’il y a un cas, un seul, où l’observation semblerait d’abord suggérer cette vue : nous voulons parler de l’aphasie, ou plus généralement des troubles de la reconnaissance auditive ou visuelle. C’est le seul cas où l’on puisse assigner à la maladie un siège constant dans une circonvolution déterminée du cerveau ; mais c’est précisément aussi le cas où l’on n’assiste pas à l’arrachement mécanique et tout de suite définitif de tels et tels souvenirs, mais plutôt à l’affaiblissement graduel et fonctionnel de l’ensemble de la mémoire inté­ressée. Et nous avons expliqué comment la lésion cérébrale