Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/235

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ou moments du temps naissent donc d’un besoin de symétrie ; on y aboutit naturellement dès qu’on demande à l’espace une représentation intégrale de la durée. Mais voilà précisément l’erreur. Si la ligne AB symbolise la durée écoulée du mouvement accompli de A en B, elle ne peut aucunement, immobile, représenter le mouvement s’accomplissant, la durée s’écoulant ; et de ce que cette ligne est divisible en parties, et de ce qu’elle se termine par des points, on ne doit conclure ni que la durée corres­pondante se compose de parties séparées ni qu’elle soit limitée par des instants.

Les arguments de Zénon d’Élée n’ont pas d’autre origine que cette illusion. Tous consistent à faire coïncider le temps et le mouvement avec la ligne qui les sous-tend, à leur attribuer les mêmes subdivisions, enfin à les traiter com­me elle. À cette confusion Zénon était encouragé par le sens commun, qui transporte d’ordinaire au mouvement les propriétés de sa trajectoire, et aussi par le langage, qui traduit toujours en espace le mouvement et la durée. Mais le sens commun et le langage sont ici dans leur droit, et même, en quelque sorte, font leur devoir, car envisageant toujours le devenir comme une chose utilisable, ils n’ont pas plus à s’inquiéter de l’organisation intérieure du mouve­ment que l’ouvrier de la structure moléculaire de ses outils. En tenant le mouvement pour divisible comme sa trajectoire, le sens commun exprime simplement les deux faits qui seuls importent dans la vie pratique : 1º que tout mouvement décrit un espace ; 2º qu’en chaque point de cet espace le mobile pourrait s’arrêter. Mais le philosophe qui raisonne sur la nature intime du mouvement est tenu de lui restituer la mobilité qui en est l’essence, et c’est ce que ne fait pas Zénon. Par le premier argument (la