Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/245

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la réalité sensible est justement ce que nous appelons vivre.

Mais si cette première subdivision du réel répond beaucoup moins à l’intuition immédiate qu’aux besoins fondamentaux de la vie, comment obtiendrait-on une connaissance plus approchée des choses en poussant la division plus loin encore ? Par là on prolonge le mouvement vital ; on tourne le dos à la connaissance vraie. C’est pourquoi l’opération grossière qui consiste à décomposer le corps en parties de même nature que lui nous conduit à une impasse, incapables que nous nous sentons bientôt de concevoir ni pourquoi cette division s’arrêterait, ni comment elle se poursuivrait à l’infini. Elle représente, en effet, une forme ordinaire de l’action utile, mal à propos trans­portée dans le domaine de la connaissance pure. On n’expliquera donc jamais par des particules, quelles qu’elles soient, les propriétés simples de la matière : tout au plus suivra-t-on jusqu’à des corpuscules, artificiels comme le corps lui-même, les actions et réactions de ce corps vis-à-vis de tous les autres. Tel est précisément l’objet de la chimie. Elle étudie moins la matière que les corps ; on conçoit donc qu’elle s’arrête à un atome, doué encore des propriétés générales de la matière. Mais la matérialité de l’atome se dissout de plus en plus sous le regard du physicien. Nous n’avons aucune raison, par exemple, de nous représenter l’atome comme solide, plutôt que liquide ou gazeux, ni de nous figurer l’action réciproque des atomes par des chocs plutôt que de toute autre manière. Pourquoi pensons-nous à un atome solide, et pourquoi à des chocs ? Parce que les solides, étant les corps sur lesquels nous avons le plus manifestement prise, sont ceux qui nous intéressent le plus dans nos rapports