Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/246

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avec le monde extérieur, et parce que le contact est le seul moyen dont nous paraissions disposer pour faire agir notre corps sur les autres corps. Mais des expériences fort simples montrent qu’il n’y a jamais contact réel entre deux corps qui se poussent[1] ; et d’autre part la solidité est loin d’être un état absolument tranché de la matière[2]. Solidité et choc empruntent donc leur apparente clarté aux habitudes et nécessités de la vie pratique ; — des images de ce genre ne jettent aucune lumière sur le fond des choses.

S’il y a d’ailleurs une vérité que la science ait mise au-dessus de toute con­testation, c’est celle d’une action réciproque de toutes les parties de la matière les unes sur les autres. Entre les molécules supposées des corps s’exercent des forces attractives et répulsives. L’influence de la gravitation s’étend à travers les espaces interplanétaires. Quelque chose existe donc entre les atomes. On dira que ce n’est plus de la matière, mais de la force. On se figurera, tendus entre les atomes, des fils qu’on fera de plus en plus minces, jusqu’à ce qu’on les ait rendus invisibles et même, à ce qu’on croit, immatériels. Mais à quoi pourrait servir cette grossière image ? La conservation de la vie exige sans doute que nous distinguions, dans notre expérience journalière, des choses inertes et des actions exercées par ces choses dans l’espace. Comme il nous est utile de fixer le siège de la chose au point précis où nous pourrions la toucher, ses contours palpables deviennent pour nous sa limite réelle, et nous voyons alors dans son action un

  1. Voir, à ce sujet, MAXWELL, Action at a distance (Scientific papers, Cambridge, 1890, t. Il, pp. 313-314).
  2. MAXWEL, Molecular constitution of bodies (Scientific papers, t. II, p. 618). — Van der Waals a montré, d’autre pari, la continuité des états liquide et gazeux.