Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/252

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faisions pressentir, dans l’immense multiplicité des mouvements qu’elle exécute, en quelque sorte, à l’intérieur de sa chrysalide. Elle s’étale, immobile, en surface ; mais elle vit et vibre en profondeur.

À vrai dire, personne ne se représente autrement le rapport de la quantité à la qualité. Croire à des réalités distinctes des réalités aperçues, c’est surtout reconnaître que l’ordre de nos perceptions dépend d’elles, et non pas de nous. Il doit donc y avoir, dans l’ensemble des perceptions qui occupent un moment donné, la raison de ce qui se passera au moment suivant. Et le mécanisme ne fait que formuler avec plus de précision cette croyance quand il affirme que les états de la matière peuvent se déduire les uns des autres. Cette déduction n’est possible, il est vrai, que si l’on découvre, sous l’hétérogénéité apparente des qualités sensibles, des éléments homogènes et calculables. Mais, d’autre part, si ces éléments sont extérieurs aux qualités dont ils doivent expliquer l’ordre régulier, ils ne peuvent plus rendre le service qu’on leur demande, puisque les qualités ne s’y surajoutent alors que par une espèce de miracle et n’y correspondent qu’en vertu d’une harmonie préétablie. Force est donc bien de mettre ces mouvements dans ces qualités, sous forme d’ébranlements inté­rieurs, de considérer ces ébranlements comme moins homogènes et ces qualités comme moins hétérogènes qu’ils ne le paraissent superficiellement, et d’attribuer la différence d’aspect des deux termes à la nécessité, pour cette multiplicité en quelque sorte indéfinie, de se contracter dans une durée trop étroite pour en scander les moments.

Insistons sur ce dernier point, dont nous avons déjà touché un mot ailleurs, mais que nous tenons pour essentiel.