Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/267

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mieux la nécessité de tenir toutes les sensations pour primitivement extensives, leur étendue pâlissant et s’effaçant devant l’intensité et l’utilité supérieures de l’étendue tactile, et sans doute aussi de l’étendue visuelle.

Ainsi entendu, l’espace est bien le symbole de la fixité et de la divisibilité à l’infini. L’étendue concrète, c’est-à-dire la diversité des qualités sensibles, n’est pas en lui ; c’est lui que nous mettons en elle. Il n’est pas le support sur lequel le mouvement réel se pose ; c’est le mouvement réel, au contraire, qui le dépose au-dessous de lui. Mais notre imagination, préoccupée avant tout de la commodité de l’expression et des exigences de la vie matérielle, aime mieux renverser l’ordre naturel des termes. Habituée à chercher son point d’appui dans un monde d’images toutes construites, immobiles, dont la fixité appa­rente reflète surtout l’invariabilité de nos besoins inférieurs, elle ne peut s’empêcher de croire le repos antérieur à la mobilité, de le prendre pour point de repère, de s’installer en lui, et de ne plus voir enfin dans le mouvement qu’une variation de distance, l’espace précédant le mouvement. Alors, dans un espace homogène et indéfiniment divisible elle dessinera une trajectoire et fixera des positions : appliquant ensuite le mouvement contre la trajectoire, elle le voudra divisible comme cette ligne et, comme elle, dépourvu de qualité. Faut-il s’étonner si notre entendement, s’exerçant désormais sur cette idée qui représente justement l’inversion du réel, n’y découvre que des contradictions ? Ayant assimilé les mouvements à l’espace, on trouve ces mouvements homogènes comme l’espace ; et comme on ne veut plus voir entre eux que des différences calculables de direction et de vitesse, toute relation est abolie entre le mouvement