Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/268

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et la qualité. Il ne reste plus alors qu’à parquer le mouvement dans l’espace, les qualités dans la conscience, et à établir entre ces deux séries parallèles, incapables par hypothèse de se rejoin­dre jamais, une mystérieuse correspondance. Rejetée dans la conscience, la qualité sensible devient impuissante à reconquérir l’étendue. Relégué dans l’espace, et dans l’espace abstrait, où il n’y a jamais qu’un instant unique et où tout recommence toujours, le mouvement renonce à cette solidarité du présent et du passé qui est son essence même. Et comme ces deux aspects de la perception, qualité et mouvement, s’enveloppent d’une égale obscurité, le phénomène de la perception, où une conscience enfermée en elle-même et étrangère à l’espace traduirait ce qui a lieu dans l’espace, devient un mystère. — Écartons au contraire toute idée préconçue d’interprétation ou de mesure, plaçons-nous face à face avec la réalité immédiate : nous ne trouvons plus une distance infranchissable, plus de différence essentielle, pas même de distinc­tion véritable entre la perception et la chose perçue, entre la qualité et le mouvement.

Nous revenons ainsi, par un long détour, aux conclusions que nous avions dégagées dans le premier chapitre de ce livre. Notre perception, disions-nous, est originairement dans les choses plutôt que dans l’esprit, hors de nous plutôt qu’en nous. Les perceptions des divers genres marquent autant de directions vraies de la réalité. Mais cette perception qui coïncide avec son objet, ajoutions-nous, existe en droit plutôt qu’en fait : elle aurait lieu dans l’instan­tané. Dans la perception concrète la mémoire intervient, et la subjectivité des qualités sensibles tient justement à ce que notre conscience,