Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/282

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avec laquelle nous construisons notre connaissance, on ne trouve aucun rapport concevable, aucune commune mesure. Maintenant, en appro­fondissant ces deux formes extrêmes du réalisme, on les voit converger vers un même point : l’une et l’autre dressent l’espace homogène comme une barrière entre l’intelligence et les choses. Le réalisme naïf fait de cet espace un milieu réel où les choses seraient en suspension ; le réalisme kantien y voit un milieu idéal où la multiplicité des sensations se coordonne ; mais pour l’un et pour l’autre ce milieu est donné d’abord, comme la condition nécessaire de ce qui vient s’y placer. Et en approfondissant cette commune hypothèse à son tour, on trouve qu’elle consiste à attribuer à l’espace homogène un rôle désin­téressé, soit qu’il rende à la réalité matérielle le service de la soutenir, soit qu’il ait la fonction, toute spéculative encore, de fournir aux sensations le moyen de se coordonner entre elles. De sorte que l’obscurité du réalisme, comme celle de l’idéalisme, vient de ce qu’il oriente notre perception consciente, et les conditions de notre perception consciente, vers la connaissance pure, non vers l’action. — Mais supposons maintenant que cet espace homogène ne soit pas logiquement antérieur, mais postérieur aux choses matérielles et à la connaissance pure que nous pouvons avoir d’elles ; supposons que l’étendue précède l’espace ; supposons que l’espace homogène concerne notre action, et notre action seulement, étant comme un filet infiniment divisé que nous tendons au-dessous de la continuité matérielle pour nous en rendre maîtres, pour la décomposer dans la direction de nos activités et de nos besoins. Alors nous n’y gagnons pas seulement de rejoindre la science, qui nous montre chaque chose exerçant son influence sur toutes