Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/281

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rigoureux qui demeurent alors obscurs, soit qu’on érige ces intermédiaires en « sensations possibles », selon l’expression de Mill, soit qu’on attribue cet ordre, comme le fait Kant, aux substructions établies par l’entendement impersonnel. Mais supposons que ma perception consciente ait une destination toute pratique, qu’elle dessine simplement, dans l’ensemble des choses, ce qui intéresse mon action possible sur elles : je comprends que tout le reste m’échappe, et que tout le reste, cependant, soit de même nature que ce que je perçois. Ma connaissance de la matière n’est plus alors ni subjective, comme elle l’est pour l’idéalisme anglais, ni relative, comme le veut l’idéalisme kantien. Elle n’est pas subjective, parce qu’elle est dans les choses plutôt qu’en moi. Elle n’est pas relative, parce qu’il n’y a pas entre le « phénomène » et la « chose » le rapport de l’apparence à la réalité, mais simplement celui de la partie au tout.

Par là nous semblions revenir au réalisme. Mais le réalisme, si on ne le corrige sur un point essentiel, est aussi inacceptable que l’idéalisme, et pour la même raison. L’idéalisme, disions-nous, ne peut passer de l’ordre qui se manifeste dans la perception à l’ordre qui réussit dans la science, c’est-à-dire à la réalité. Inversement, le réalisme échoue à tirer de la réalité la connaissance immédiate que nous avons d’elle. Se place-t-on en effet dans le réalisme vulgaire ? On a d’un côté une matière multiple, composée de parties plus ou moins indépendantes, diffuse dans l’espace, et de l’autre un esprit qui ne peut avoir aucun point de contact avec elle, à moins qu’il n’en soit, comme veulent les matérialistes, l’inintelligible épiphénomène. Considère-t-on de préférence le réalisme kantien ? Entre la chose en soi, c’est-à-dire le réel, et la diversité sensible