Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/286

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comme on a négligé ces actions réelles et virtuelles avec lesquelles elles font corps et qui serviraient à les distinguer, on ne peut plus trouver entre elles qu’une différence de degré. Alors, profitant de ce que la sensation affective n’est que vaguement localisée (à cause de la confusion de l’effort qu’elle enveloppe), on la déclare tout de suite inextensive ; et on fait de ces affections diminuées ou sensations inextensives les matériaux avec lesquels nous construirions des images dans l’espace. Par là on se condamne à n’expliquer ni d’où viennent les éléments de conscience ou sensations, qu’on pose comme autant d’absolus, ni comment, inextensives, ces sensations rejoignent l’espace pour s’y coordonner, ni pourquoi elles y adoptent un ordre plutôt qu’un autre, ni enfin par quel moyen elles réussissent à y constituer une expérience stable, commune à tous les hommes. C’est au contraire de cette expérience, théâtre nécessaire de notre activité, qu’il faut partir. C’est donc la perception pure, c’est-à-dire l’image, qu’on doit se donner d’abord. Et les sensations, bien loin d’être les matériaux avec lesquels l’image se fabrique, apparaîtront au contraire alors comme l’impureté qui s’y mêle, étant ce que nous projetons de notre corps dans tous les autres.

V. — Mais tant que nous en restons à la sensation et à la perception pure, on peut à peine dire que nous ayons affaire à l’esprit. Sans doute nous établissons contre la théorie de la conscience-épiphénomène qu’aucun état cérébral n’est l’équivalent d’une perception. Sans doute la sélection des perceptions parmi les images en général est l’effet d’un discernement qui annonce déjà l’esprit. Sans doute enfin l’univers matériel lui-même, défini comme la totalité des images,