Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/299

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la perception (d’où une tendance à supposer la perception de plus en plus inextensive). Mais notre entendement, dont le rôle est justement d’établir des distinctions logiques et par conséquent des oppositions tranchées, s’élance dans les deux voies tour à tour, et dans chacune d’elles va jusqu’au bout. Il érige ainsi, à l’une des extrémités, une étendue indéfiniment divisible, à l’autre des sensations absolument inexten­sives. Et il crée ainsi l’opposition dont il se donne ensuite le spectacle.

2º Beaucoup moins artificielle est l’opposition de la qualité à la quantité, c’est-à-dire de la conscience au mouvement : mais cette seconde opposition n’est radicale que si l’on commence par accepter la première. Supposez en effet que les qualités des choses se réduisent à des sensations inextensives affectant une conscience, en sorte que ces qualités représentent seulement, comme autant de symboles, des changements homogènes et calculables s’accomplissant dans l’espace, vous devrez imaginer entre ces sensations et ces changements une incompréhensible correspondance. Renoncez au contraire à établir a priori entre eux cette contrariété factice : vous allez voir tomber une à une toutes les barrières qui semblaient les séparer. D’abord, il n’est pas vrai que la conscience assiste, enroulée sur elle-même, à un défilé intérieur de perceptions inextensives. C’est donc dans les choses perçues elles-mêmes que vous allez replacer la perception pure, et vous écarterez ainsi un premier obstacle. Vous en rencontrez, il est vrai, un second : les changements homo­gènes et calculables sur lesquels la science opère semblent appartenir à des éléments multiples et indépendants, tels que les atomes, dont ils ne seraient que l’accident ; cette multiplicité va s’interposer entre