Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/51

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cran noir sur lequel se détacherait l’image. Nos « zones d’indétermination » joueraient en quelque sorte le rôle d’écran. Elles n’ajoutent rien à ce qui est ; elles font seulement que l’action réelle passe et que l’action virtuelle demeure.

Ce n’est pas là une hypothèse. Nous nous bornons à formuler les données dont aucune théorie de la perception ne peut se passer. Nul psychologue, en effet, n’abordera l’étude de la perception extérieure sans poser la possibilité au moins d’un monde matériel, c’est-à-dire, au fond, la perception virtuelle de toutes choses. Dans cette masse matérielle simplement possible on isolera l’objet particulier que j’appelle mon corps, et dans ce corps les centres perceptifs : on me montrera l’ébranlement arrivant d’un point quelconque de l’espace, se propageant le long des nerfs, gagnant les centres. Mais ici s’ac­complit un coup de théâtre. Ce monde matériel qui entourait le corps, ce corps qui abrite le cerveau, ce cerveau où l’on distinguait des centres, on les congédie brusquement ; et comme sous une baguette magique, on fait surgir, à la manière d’une chose absolument nouvelle, la représentation de ce qu’on avait posé d’abord. Cette représentation, on la pousse hors de l’espace, pour qu’elle n’ait plus rien de commun avec la matière d’où l’on était parti : quant à la matière même, on voudrait s’en passer, on ne le peut cependant, parce que ses phénomènes présentent entre eux un ordre si rigoureux, si indifférent au point qu’on choisit pour origine, que cette régularité et cette indifférence constituent véritablement une existence indépendante. Il faudra bien alors se résigner à conserver de la matière son fantôme. Du moins on la dépouillera de toutes les qualités qui donnent la vie. Dans un espace amorphe on découpera des figures qui se meuvent ;