Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/76

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nouvel examen). Mais que conclure de là, sinon que l’éducation subsiste une fois reçue, et que les données de la mémoire, plus utiles dans la vie pratique, déplacent celles de la conscience immédiate ? Il nous est indispensable, en vue de l’action, de traduire notre expérience affective en données possibles de la vue, du toucher et du sens musculaire. Une fois cette traduction établie, l’original pâlit, mais elle n’aurait jamais pu se faire si l’original n’avait été posé d’abord, et si la sensation affective n’avait pas été, dès le début, localisée par sa seule force et à sa manière.

Mais le psychologue a une très grande peine à accepter cette idée du sens commun. De même que la perception, à ce qu’il lui semble, ne pourrait être dans les choses perçues que si les choses percevaient, ainsi une sensation ne pourrait être dans le nerf que si le nerf sentait : or le nerf ne sent évidemment pas. On va donc prendre la sensation au point où le sens commun la localise, l’en extraire, la rapprocher du cerveau, dont elle paraît dépendre plus encore que du nerf ; et on aboutirait ainsi, logiquement, à la mettre dans le cerveau. Mais on s’aperçoit bien vite que si elle n’est pas au point où elle paraît se produire, elle ne pourra pas davantage être ailleurs ; que si elle n’est pas dans le nerf, elle ne sera pas non plus dans le cerveau ; car pour expliquer sa projection du centre à la périphérie, une certaine force est nécessaire, qu’on devra attribuer à une conscience plus ou moins active. Il faudra donc aller plus loin, et après avoir fait converger les sensations vers le centre cérébral, les pousser tout à la fois hors du cerveau et hors de l’espace. On se représentera alors des sensations absolument inextensives, et d’autre part un espace vide, indifférent aux sensations qui viendront