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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

d’infinités de parties ad infinitum. D’autres pensent que tous les ordres d’infinitésimaux au-dessous du premier ne sont absolument rien, jugeant avec juste raison qu’il est absurde d’imaginer l’existence d’une quantité ou partie positive d’étendue, telle que, multipliée à l’infini, elle ne puisse jamais arriver à égaler la plus petite étendue donnée. Et d’un autre côté, il n’est pas moins absurde de penser que le carré, le cube ou toute autre puissance d’une racine positive réelle ne soit elle-même absolument rien ; et pourtant c’est à quoi sont obligés ceux qui admettent les infiniment petits du premier ordre en niant ceux des ordres suivants[1].

131. N’avons-nous pas raison de conclure que les uns et les autres sont également dans le faux, et qu’il n’existe pas en effet telle chose que des parties infiniment petites, ou un nombre infini de parties contenu dans une quantité finie ? Mais, direz-vous, si cette doctrine est acceptée, il faudra donc que la géométrie soit ruinée jusque dans ses fondements, et que les grands hommes qui ont élevé cette science à une si étonnante hauteur, aient passé leur temps à bâtir des châteaux en l’air. On peut répondre à cela que tout ce qui est utile en géométrie et tourne à l’avantage de la vie humaine demeure ferme et inébranlable, selon nos principes ; que même la science, envisagée sous son aspect pratique, doit tirer profit de ce que nous avons déjà dit, plutôt qu’en recevoir aucun préjudice. Mais pour bien éclaircir la question [et montrer comment les lignes et les figures peuvent être mesurées, leurs propriétés étudiées, sans supposer l’infinie divisibilité d’une étendue finie], il y aura lieu de traiter ce sujet dans un autre endroit[2]. Au surplus, s’il arrivait que quelques-unes des parties les plus compliquées et les plus subtiles des mathématiques spéculatives dussent être retranchées, sans que la vérité en eût rien à souffrir, je ne vois pas quel dommage il

  1. En effet, il résulte de la proportion a : 1 :: a² : a, que si a représente une ligne qui soit une fraction infinitésimale de l’unité linéaire, la seconde puissance de a est une fraction infinitésimale de a ; et par conséquent si les infinitésimales du premier ordre existaient réellement, et celles du second ordre non, on serait obligé de dire que le carré d’une quantité positive réelle n’est rien. C’est ce que fait observer ici Berkeley. (Note de Renouvier)
  2. C’est ce que l’auteur a fait dans l’ouvrage intitulé : The analyst, or a discourse addressed to an infidel mathématicien (1734). — (Id.)