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examen approfondi de la matière, que nous ne saurions concevoir un millier de parties, entrant dans la composition d’un pouce, mais seulement dans la composition d’une autre ligne beaucoup plus grande que lui, qu’il représente. Et quand nous disons qu’une ligne est infiniment divisible nous entendons (si tant est que nous entendions par là quelque chose) une ligne infiniment grande[1]. L’observation que nous faisons ici rend bien compte, ce semble, du principal motif qu’on a eu de regarder l’infinie divisibilité de l’étendue finie comme nécessaire en géométrie.

129. Les difficultés et contradictions nées de ce faux principe auraient pu être prises, on le croirait, pour autant de démonstrations propres à le renverser. Mais, en vertu de je ne sais quelle logique, on tient que les preuves a posteriori ne sont pas admissibles contre les propositions relatives à l’infini ; comme s’il n’était pas impossible, même à un Esprit Infini, de faire accorder des contradictions, ou comme si quelque chose d’absurde et qui répugne à la raison pouvait avoir une connexion nécessaire avec la vérité ou en découler. Mais qui considérera la faiblesse d’une telle prétention jugera qu’elle a été imaginée pour flatter la paresse de l’esprit, qui aime mieux rester dans un indolent scepticisme que de se donner beaucoup de peine et de pousser jusqu’au bout un examen sévère de principes qu’il a toujours tenus pour vrais.

130. La spéculation sur les infinis a été récemment poussée si loin et s’est développée en de si étranges notions qu’elle a soulevé des scrupules et amené de graves disputes entre les géomètres. Quelques-uns des plus marquants, non contents de regarder les lignes finies comme divisibles en un nombre infini de parties, vont jusqu’à prétendre que chacun de ces infinitésimaux est lui-même subdivisible en une infinité d’autres parties, ou infinitésimaux du deuxième ordre, et ainsi de suite ad infinitum. Ceux-là, dis-je, assurent qu’il existe des infinitésimaux d’infinitésimaux d’infinitésimaux sans fin ; si bien que, suivant eux, un pouce ne contient pas seulement un nombre infini, mais une infinité d’infinités

  1. Le texte de la deuxième édition supprime la parenthèse, et dit : Nous devons entendre au lieu de : Nous entendons.