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II
NOTICE SUR LA VIE ET L’ŒUVRE DE BERKELEY

analyse critique, à les réduire, à écarter tout ce qui n’y est que langage, artifice, habitude et préjugé, à ressaisir enfin la réalité à sa source première, telle qu’elle se révèle à une conscience prudente et ingénue, un monde tout spirituel apparaît, d’où nous n’avons nul moyen et nul besoin de jamais sortir, et qui suffit à la science et à la foi comme à la vie commune. Cette réalité spirituelle, Berkeley va l’analyser avec l’ingéniosité la plus subtile et la plus hardie, en prétendant constamment rester d’accord avec le sens commun, bien plus, se ranger du parti des simples contre les philosophes, et s’appuyer sur le fonds solide des vérités pratiques.

Si nous regardons autour de nous, la vue fait de nous le centre d’un univers apparent de choses étendues : Berkeley commence par s’attaquer à cette illusion capitale et privilégiée (Essai sur la vision). Elle vient d’un perpétuel et inconscient mélange, produit par l’habitude, exigé par la vie, entre les données du toucher et celles de la vue. Mais considérons celles-ci toutes pures : elles « n’existent que dans l’esprit » ; elles n’ont proprement ni surface, ni distance, ni volume, en un mot, pas d’étendue : ou, si l’on veut, elles n’ont qu’une étendue toute visuelle, faite de qualités subjectives et relatives, qui ne relève que de l’esprit, et qui est bien différente de l’étendue tactile.

Mais le toucher lui-même, pas plus qu’aucun autre sens (Traité de la connaissance humaine), n’a au fond le pouvoir de nous faire sortir de l’esprit pour entrer en contact avec de véritables choses, étrangères à sa nature et réellement matérielles. Toutes les sensations ne sont qu’un langage entendu par l’esprit et dont toute la signification est spirituelle : les idées de matière, d’espace, de temps se résolvent en groupes de sensations et en pensées ; la réalité qui se cache sous ces mots est tout entière dans l’esprit.

Berkeley n’hésite donc pas à proclamer un radical immatérialisme (Dialogues). Il n’y a pas d’être, mais seulement de l’apparence, dans ce que nous nommons « chose en soi » ou matière. Esse est percipi : toute la réalité des choses consiste dans les perceptions immédiates que nous en avons ; le monde de la pensée absorbe et renferme le prétendu monde de l’étendue. Hylas, qui soutient naïvement la réalité de substances matérielles hors de l’esprit, est repoussé par Philonous de position en position et finalement contraint d’avouer que les choses sont « des idées qui n’existent que dans l’intelligence ».

Pourtant tout ne se ramène pas à un jeu de phénomènes sans fondement et la réalité n’est pas la fantaisie capricieuse d’un esprit individuel : de l’immatérialisme Berkeley conclut au spiritualisme et à la Divinité. Dès le Commonplace Book la formule passive Esse