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III
NOTICE SUR LA VIE ET L’ŒUVRE DE BERKELEY

est percipi, « Être, c’est être perçu », est complétée par la formule active Esse est percipere, « Être, c’est percevoir ». Le monde spirituel a deux formes ou deux aspects, selon qu’on y considère l’objet de la connaissance ou au contraire le sujet qui se porte vers cet objet ; l’activité de l’esprit qui veut, qui perçoit, qui comprend est impliquée dans les volitions, perceptions et idées que nous ne saisissions d’abord qu’à titre de phénomènes. Mais notre esprit fini, imparfait, réceptif, suppose un grand Esprit infini qui communique avec lui par le langage des sens et dont nous découvrons immédiatement l’existence : l’immatérialisme est inconcevable sans Dieu, puisque tout ce qui existe n’est que pensée et ne peut être que dans un esprit.

Le système de Berkeley, dans sa hardie simplicité primitive, prétend donc, en nous obligeant seulement à suivre le bon sens jusqu’au bout, sans nous effrayer d’apparents paradoxes, assurer la paix du cœur et la tranquillité de l’esprit. Dès que s’évanouit la croyance à la matière, l’athéisme perd tout fondement et la vie morale est illuminée par un spiritualisme sans ombre. La science voit ses principes garantis par l’universelle intelligibilité d’un monde où tout n’est qu’intelligence, et les inextricables contradictions où s’engageaient, après Newton, physiciens et mathématiciens disparaissent avec l’impensable matière, réfractaire aux lois de l’esprit, qui défiait tous leurs efforts. Le sens commun lui-même trouve dans cette doctrine une singulière satisfaction, car le monde sensible y est réhabilité des dédains des philosophes : le plus humble des hommes touche à la réalité par la perception immédiate plus sûrement que les abstracteurs de substances ; et les lois morales comme les lois naturelles nous font immédiatement participer à l’ordre universel, qui a son principe dans l’esprit infini.

Telles sont les grandes directions, les principes essentiels et comme les ambitions caractéristiques du système que Berkeley a construit dès sa jeunesse et qu’il va conserver toute sa vie, mais en le retouchant sans cesse, amené par la vie même à le considérer de points de vue nouveaux.


[1713-1720], Après la première période d’études, de développement précoce et d’intense production, Berkeley, pendant sept ou huit ans, mène une vie beaucoup plus agitée. Il habite Londres, se mêle à la société, séjourne quelque temps à Oxford, voyage sur le Continent pendant plusieurs années, notamment en France et en Italie. Il rend visite à Malebranche, à Paris, en 1713 ; il écrit à Lyon, en 1720, le De Motu, pour un concours de l’Académie des Sciences.

[1721-1728]. Puis il semble prendre le parti de se fixer en Irlande ; il se fait pourvoir d’un poste ecclésiastique (doyen de Dromore,