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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

6. Il y a des vérités si claires et naturelles pour l’esprit qu’un homme n’a besoin que d’ouvrir les yeux pour les voir. Dans le nombre, je place cette importante vérité : que tout le chœur céleste et tout le mobilier de la terre, en un mot tous ces corps qui composent l’ordre puissant du monde ne subsistent point hors d’un esprit ; que leur être est d’être perçus ou connus ; que, par conséquent, du moment qu’ils ne sont pas effectivement perçus par moi, ou qu’ils n’existent pas dans mon esprit (in my mind), ou dans celui de quelque autre esprit créé (created spirit), il faut qu’ils n’aient aucune sorte d’existence, ou bien qu’ils existent dans l’esprit (mind) de quelque Esprit (Spirit) éternel. Attribuer à quelqu’une de leurs parties une existence indépendante d’un esprit (of a spirit), cela est inintelligible et implique toute l’absurdité de l’abstraction. [Cette vérité doit éclater avec toute la lumière et l’évidence d’un axiome, si je peux seulement éveiller la réflexion du lecteur, et obtenir de lui qu’il se rende impartialement compte de ce qu’il entend lui-même, et qu’il porte sur ce sujet ses pensées libres, dégagées de la confusion des mots et de tous préjugés en faveur des erreurs reçues[1].]

7. D’après ce qui a été dit, il est évident qu’il n’y a pas d’autre substance que l’Esprit (Spirit) ou ce qui perçoit. Mais pour démontrer ce point plus clairement, considérons que les qualités sensibles sont couleur, figure, mouvement, odeur, goût, etc., c’est-à-dire des idées perçues par les sens. Pour une idée, exister en une chose non percevante, c’est une contradiction manifeste, car avoir une idée ou la percevoir c’est tout un ; cela donc en quoi la couleur, la figure, etc., existent, doit les percevoir. Il suit de là clairement qu’il ne peut y avoir de substance ou substratum non pensant de ces idées.

8. Mais, dira-t-on, quoique les idées elles-mêmes n’existent pas hors de l’esprit (mind), il peut y avoir des choses qui leur ressemblent et dont elles sont des copies ou images, lesquelles choses existent hors de l’esprit dans une substance non pensante. Je réponds qu’une idée ne peut ressembler à rien qu’à une idée ; une couleur, une figure, ne peuvent ressembler à rien qu’à une autre couleur ou figure. Si nous

  1. Seconde édition : « Pour en être convaincu, le lecteur n’a qu’à réfléchir, et à essayer de séparer dans sa propre pensée, l’existence d’une chose sensible et le fait qu’elle est perçue. »